Un ami m’a récemment sollicité concernant la promotion des ressources électroniques en bibliothèque académique. Comme il s’y attendait (il n’était que le messager d’une demande institutionnelle), cette demande m’a laissé perplexe tant celles-ci sont entrées dans la norme des pratiques des étudiantes1. Voici donc un billet pour résumer ce dont nous avions discuté. Si vos avis divergent (non), n’hésitez pas à commenter avec des points de vue contraires ou complémentaires, cet espace est là pour ça.
Non, mais…
Qu’il est loin le temps où on collait dans nos titres populaires des étiquettes « ce livre est aussi disponible en version numérique » avec l’URL de SFX ! On peut adresser de nombreuses critiques à Alma/Primo/etc.2, mais l’intégration des ressources électroniques et physiques dans nos catalogues s’effectue de manière naturelle du point de vue de nos étudiantes. Sans surprise, qu’elles préfèrent le papier ou le pdf, elles ne cherchent pas un format de ressources, mais un contenu.
Si mon activité à ce niveau concerne davantage les livres numériques, je crois pouvoir dire sans grande prise de risque que la transition est complète au niveau des journaux et articles. Nous avons plus souvent besoin d’expliquer le concept de compactus et de volumes reliés que celui d’articles en ligne, et le concept de revue scientifique s’efface peut-être même progressivement à leurs yeux.
Les articles étant de nos jours généralement directement référencés dans nos catalogues et dans Google Scholar, qui a évidemment encore plus de succès que nos outils de découverte traditionnels, la liaison créée entre nos catalogues et Google Scholar à l’aide de « Findit@ » est peut-être l’ultime promotion possible, et j’ose croire qu’elle est en place partout.
Oui, mais…
Bien que pas particulièrement fétichiste de l’objet-livre, comme je l’ai déjà mentionné, je trouve des avantages certains aux livres imprimés sur certains points, avec toutefois des solutions potentielles, bien que partielles.
La sérendipité reste un problème pour nos lectrices quand on ne dispose que de livres numériques. J’attends encore la mise en place de recommandations algorithmiques « à la Amazon » dans nos catalogues pour mettre en valeur d’autres titres concernant les mêmes sujets ou qui ont intéressé d’autre lectrices3. Affichées sous les notices bibliographiques ouvertes, elle pourraient permettre des découvertes que les mauvais termes de recherche n’auraient pas mis en avant, mais si elles sont mal conçues, elles pourraient aussi enfermer les lectrices dans des bulles bibliographiques de chercheuses se citant les unes les autres. Je suis certain que cette fonctionnalité existe déjà pour les bibliothèques municipales, donc pourquoi ne l’avons-nous pas également ?
La mise en valeur de nouveautés ou de sélections thématiques peut également poser problème, et nécessite des adaptations. Notre bibliothèque, dédiée aux relations internationales et au développement4 met régulièrement des sélections de livres en exposition en lien avec des événements ou actualités5. Pour en faire un équivalent, nous tentons parfois d’ajouter une sélection numérique accessible sur notre catalogue, comme pour la semaine de la durabilité. Ces sélections sont annoncées sur notre blog et autres médias sociaux, ainsi que par un code QR au côté de la sélection physique. Est-ce efficace ? Je n’ai pas de chiffres à avancer, mais je n’en ai sincèrement pas l’impression.
En bref
Est-ce que la promotion des ressources électroniques en bibliothèque académique a encore un sens ? Peut-être à la marge avec quelques outils ou pratiques « nice to have », mais le grand enjeu se situe à mes yeux plutôt au niveau de la formation, que ce soit à la recherche documentaire, ou même à l’usage technique des fonctionnalités spécifiques de certaines plateformes. Permettez-moi donc de partir hors-sujet pour conclure, tant ce sujet me paraît clos ou presque.
Si les livres numériques sont impopulaires auprès de certaines utilisatrices, ce n’est pas par méconnaissance mais par préférence, et celle-ci doit être respectée. Je ne suis pas anti-ebook : comme dit plus haut, c’est une partie de mon activité professionnelle, et je les ai utilisés avec plaisir en tant qu’étudiant à distance. Mais en tant que professionnelles, il reste important de choisir les bons modèles, de ne pas donner trop de pouvoir à nos fournisseurs, et de garder un regard critique et une politique équilibrée.
Abandonner l’imprimé pour le tout-numérique peut poser des problèmes réels, comme l’a récemment montré le changement de modèle de Proquest (encore Clarivate) pour Ebook Central, qui n’a pas fini de faire des vagues6. Le droit d’auteur appliqué au numérique pose des problèmes réels aux bibliothèques, et ce serait une erreur de vouloir « promouvoir les ressources électroniques » alors qu’elles sont déjà entrées dans les mœurs de manière à mon avis assez équilibrée dans nos universités7.
P.S./edit
Il existe évidemment des catégories de ressources électroniques qui ne sont pas aussi bien intégrées que celles que j’ai évoquées : bases de données, outils, plateformes comme Pressreader, etc. Dans ce cas, à nouveau, je pense qu’on retombe dans des méthodes de promotion traditionnelles (affichage, formations) qui n’ont pas d’aspect particulièrement innovant. Si ça vous inspire ou si vous connaissez des exemples intéressants, n’hésitez pas à en parler.
- Féminin neutre, comme d’habitude, et désolé pour les éventuels oublis. ↩︎
- Situation de quasi-monopole de fait, intégration verticale inquiétante de Clarivate, métadonnées collectives dégueulasses et en retard, lenteur, lourdeur, intégration discutable des modèles théoriques d’organisation de l’information… Je vous laisse compléter, je suis sûre que chacune de nous a des reproches structurels ou pratiques à leur faire. ↩︎
- Concernant les algorithmes basés sur l’utilisation, méfiance car cela contredit notre devoir de protection par l’effacement des données de consultation individuelles. ↩︎
- Oui, je travaille dans un repère de dangereux alter-wokistes mélangés à des néolibéraux, c’est particulier. ↩︎
- Mois des fiertés LGBTIAQ+, Black history month, semaine de la démocratie, semaine de la durabilité, décès de chercheuses célèbres, etc. ↩︎
- En résumé, pour celles qui n’ont pas suivi, Proquest a annoncé la fin de la vente de licences par titre pour passer à un modèle d’abonnement contre lequel s’élèvent de nombreuses bibliothécaires dont votre serviteur. En revanche les titres acquis restent disponibles, sans qu’on sache pour autant si les frais de maintien de la plateforme (qui étaient nuls tant que nous achetions assez de titres chaque année) vont augmenter ou pas à l’avenir. ↩︎
- Évidemment, la question se pose autrement pour les bibliothèques de lecture publique, mais je ne m’avancerai pas sur le sujet. D’une part je n’y travaille pas, et d’autre part, j’ai déjà répondu à la question qui m’intéressait. ↩︎
Illustration: Digital Marketing, CC0 public domain, par Mohamed Mahmoud Hassan.
Je fais un pas de côté car votre post traite notamment des ebooks et des revues, mais je me pose la question de la promotion (et en retour de l’usage) de grosses bases de données agrégatives qui, outre des revues et des ebooks, mettent à disposition du contenu particulier (sources primaires, scripts de films, analyses sectorielles,…) qui n’a pas d’équivalent dans les collections physiques mais qui, en partie au moins, est accessible librement via d’autres canaux (Internet Archive, Wikisource,…). Ce type particulier de contenu semble par ailleurs mal signalé dans les outils de découverte, le gros du travail de description et d’indexation étant encapsulé dans les plates-formes adhoc construites par les éditeurs. Du coup, si l’on part du principe que c’est quand même intéressant à promouvoir (ne serait-ce que parce qu’on veut rentabiliser un achat et voir baisser le coût à la requête…), sur quoi insiste-t-on ? Un agencement de documentation parfois fait de bric et de broc, au gré des contrats passés entre agrégateurs et détenteurs de droits ? Un outil spécifique que bien peu d’étudiants utiliseront après leurs parcours académique ? Ou justement, on ne promeut pas ces outils en particulier, mais on fait en sorte que leur contenu spécifique soit connu (par exemple par des guides thématiques) et accessible (via le catalogue ou les outils de découverte, mais on voit que c’est compliqué) ?
J’ai bien fait d’ajouter mon P.S. avant de voir votre commentaire 😀
Oui, c’est souvent compliqué et peu efficace à mon avis quand le contenu de ces bases n’est pas intégré dans le catalogue principal. Un portail de streaming vidéo peut avoir une place privilégiée sur le site web de l’institution, mais trouver lesdites vidéos dans les résultats de recherche du catalogue serait encore mieux.
Dans un autre style, quand on crée une liste de bases de données ouvertes dans nos thématiques comme je l’ai fait, c’est compliqué à promouvoir. Je la fais figurer dans le guide « gestion des données de recherche » et dans le guide « bases de données », mais qui va vraiment consulter ces libguides sinon les bibliothécaires qui souhaitent répondre aux usagères ?