Billet « un peu spécial », comme on dit sur Youtube, pour parler de la fin de mes vacan mon récent déplacement professionnel en Angleterre, qui m’a certes permis dans un premier temps d’aller à Bristol pour la conférence IASSIST 2025 (billet à venir), mais aussi de m’arrêter à Londres sur le chemin du retour pour deux jours d’observation avec l’équipe open science de la London School of Economics.
Le programme de mobilité
Connaissez-vous Movetia, le programme de mobilité des hautes écoles suisses ? C’est un équivalent local d’Erasmus+, créé pour compenser sa perte suite aux anicroches que l’on sait entre Suisse et Union Européenne. L’un de ses volets s’applique non pas aux étudiantes mais aux employées administratives1, leur permettant par exemple de suivre des cours ou d’accompagner le travail de services équivalents dans d’autres institutions ailleurs en Europe, tous frais payés. J’ai appris son existence en fin d’année dernière à travers une newsletter interne, et après consultation de la responsable locale du programme dans le service des ressources humaines de l’Institut, j’ai entrepris des démarches pour fixer un objectif, identifier les lieux d’accueil potentiels, et enfin prendre langue avec des contacts locaux.
Le choix de l’institution se réduisait à mes yeux à trois possibilités principales, des institutions « similaires » à l’Institut pour lequel je travaille, mais en plus grand. D’abord, la London School of Economics and Political Science (LSE), la bibliothèque nationale des sciences sociales au Royaume-Uni. Ensuite, Sciences Po à Paris ou l’European University Institute (EUI) à Florence, toutes deux également très actives dans la recherche en sciences sociales. D’autres venaient en troisième catégorie, que je ne mentionnerai pas ici pour ne pas donner l’impression que je les juge mauvaises (ce n’étaient simplement pas mes priorités).
Plusieurs raisons me faisaient si possible préférer l’institution britannique : d’abord, l’existence du « Open Research Working Group » (ORWG), qui réunit académiques et professionnelles de l’information, mais aussi leur blog « Impact of Social Sciences« , qui est un délice pour celles qui comme moi s’intéressent aux sciences sociales ouvertes. De plus, la responsable adjointe du groupe était l’ancienne data manager et actuelle doctorante de l’Université de Sheffield (où j’ai suivi mon master en ligne), avec qui j’avais déjà échangé des messages. Enfin, je souhaitais également me rendre en Angleterre pour la conférence IASSIST, et cela me permettait de faire d’un billet de train deux coups.
Après validation de la possibilité d’un accueil par ma contact sur place, je suis donc parti pour deux jours de job shadowing. Movetia a couvert mes billets de train A/R Genève-Londres (un peu moins de CHF 500.-), ainsi que des coûts journaliers de 170.- (jour de départ et d’arrivée compris) soit un peu moins de CHF 1200.- au total, sans contribution de mon employeur sinon mon temps et celui de mes collègues. Bon deal, renseignez-vous.
L’institution
La LSE, c’est un peu l’institut dans lequel je travaille, mais multiplié par 10 : nous avons 1200 étudiantes, et elle 12’000. Cinquantième mondiale aux classements QS et THE2 malgré l’absence de sciences dures, dans le top 10 pour les sciences sociales et l’économie, en plus de son rôle académique et patrimonial, elle a du soft power à revendre et un budget confortable, rachetant les immeubles du quartier l’un après l’autre pour y placer ses collèges et facultés, et une bibliothèque comptant près d’une centaine de collaboratrices (16 chez nous, ~13 en ETP).
La bibliothèque, justement : 6 niveaux au coeur du campus, des centaines de places de travail divisées en espaces de luminosités et sonorités différentes pour satisfaire toutes les usagères, des espaces de recherche sécurisés pour l’accès aux données sensibles3, le tout ouvert 24/7 pour autant qu’on ait le badge nécessaire, mais aussi des collections spéciales comme la Women’s Library et des services adjacents comme LSE Life ou la PhD Academy.
Au niveau open science, on y remarque les fameux blog(s) et groupe ORWG mentionnés plus haut, mais surtout une équipe de 10 personnes (à peine plus d’un ETP chez nous) pour l’open access, les données de recherche, les métriques et la formation à tout cela, sans compter l’équipe des blogs, celle de la LSE Press (éditeur diamant de l’institution), etc. Leur accueil a été extrêmement sympathique : j’ai pu participer à deux réunions et eu de multiples entretiens qui m’ont offert des discussions très intéressantes.
Ce qui s’y passe
Si l’institution a clairement plus de moyens que la mienne, les discussions m’ont permis de constater que nous rencontrons des problèmes similaires : faibles inscriptions aux formations open science, manque d’implication de la plupart des chercheuses (à l’exceptions de celles faisant de la recherche comportementale, pour qui la question de la réplicabilité est centrale), bref, tout n’y est pas rose pour autant4. Faute de convaincre une audience d’assister à des formations open science, l’équipe se replie d’ailleurs sur l’organisation de conférences de chercheuses qui évoquent leurs propres recherches, tout en glissant quelques détails sur leurs pratiques de science ouverte – à tester.
Un point intéressant à retenir pour moi : la LSE a récemment actualisé sa politique open access pour y ajouter la rétention des droits (Rights Retention Policy), mais en se passant de l’obligation pour les chercheuses de la communiquer à leur éditeur. Au contraire, c’est la bibliothèque qui a contacté des dizaines d’entre eux pour les informer de ce changement, et c’est elle qui prend la responsabilité de publier les manuscrits des autrices de l’institution. L’envoi des AAM à la bibliothèque étant obligatoire entre l’acceptation du manuscrit et sa publication effective pour des questions d’archivage, c’est une manière d’atteindre son objectif sans exiger des chercheuses qu’elles négocient elles-mêmes.
J’ai également noté un gros travail sur les métriques, en partie en réponse au REF, une évaluation périodique des institutions de recherche britannique qui était sur toutes les lèvres et jouait parfois le rôle d’épouvantail5. Même si le responsable de la bibliométrie utilisait principalement Scopus pour préparer ses rapports, il notait qu’une grande partie de son travail constituait à contextualiser les métriques et à les critiquer en donnant les outils aux chercheuses et administratrices pour ne pas les surinterpréter. Il jugeait aussi assez justifié le fait que de nombreuses institutions abandonnent l’usage de cette base de données pour adopter sa concurrente libre OpenAlex.
Ce qu’on y mange, ce qu’on y boit, ce qu’on y écoute
Oui, je sais, pas grand-chose à se mettre sous la dent dans ce billet, mais je n’ai pas de conclusion claire à tirer pour l’instant, juste des notes et des idées. Je termine donc par le plus important : à Londres, on mange indien (par exemple au Colonel Saab), on boit du whisky avec modération (si possible au Milroy’s of Soho), et on écoute en boucle Kae Tempest, qui passe d’ailleurs aux Docks de Lausanne fin octobre.
- Article utilisant le féminin neutre, comme d’habitude. Signalez-moi les oublis. Non, pas celui-là, c’est voulu. ↩︎
- Ne prenez pas ça pour un signe que je juge ces classements fiables, mais plutôt que sa réputation est établie. ↩︎
- Voir la présentation d’Hannah Boroudjou sur leur Secure Research Environment à IASSIST la semaine précédente. ↩︎
- Et je ne vous parle même pas du bureau des bibliothécaires, un open space en hot desk qui semble malheureusement devenir la norme. ↩︎
- Les chercheuses semblent prendre davantage au sérieux les obligations d’open science quand le financement de leur département en dépend. ↩︎