J’utilise énormément Twitter, même si ça ne se voit pas forcément à l’activité de mon compte « principal » puisque j’en gère plusieurs autres dans différentes capacités (à titre personnel ou collectif). Du côté professionnel, c’est un outil très important, qui m’a apporté de nombreuses idées et relations enrichissantes – c’est d’ailleurs pour cela que je recommande son usage à tous les étudiants en information documentaire que je rencontre. Mais aujourd’hui, on se demande si on est en train d’assister à son chant du cygne.
Don’t say goodbye
Je n’ai pas personnellement vécu la mort d’autres réseaux sociaux (à moins de compter Google+, mort-né). J’ai vu en revanche ICQ, IRC, et des forums passer de mégapoles à villes fantômes, et je sais par leurs témoignages ce qu’ont vécu les utilisatrices de Tumblr et MySpace. Tout indique que Twitter affronte une crise comme iel n’en a pas encore connue. Est-ce la dernière? Je vous recommande la lecture d’un fil sur la nature toujours inattendue de l’effondrement d’un service numérique (mais pas que).
Le nouveau propriétaire des lieux semble en tout cas vouloir secouer son jouet à 44 milliards sans avoir conscience de sa fragilité. Dans son obsession à dé-wokiser le réseau, il a détruit les équipes et règles de modération, offert la possibilité de payer pour obtenir des badges de vérification (qui servaient à protéger des arnaques et réduire les usurpations d’identité), aliéné des stars productrices de contenu, et licencié la moité du personnel (bonne chance à celleux qui devront reprendre un code avec 12 ans de dette technologique).
Parmi les départs, les équipes de l’accessibilité, des droits humains, de l’éthique et responsabilité machine-learning (haha). Les responsables sécurité, compliance et privacy ont aussi démissionné. Bref, on peut s’attendre au pire, et bien sûr, il blâme le wokisme pour la fuite soudaine des annonceurs face au désastre, puis lance un projet de transformation de Twitter en institution financière (les ravages de la drogue).
Partir un jour…
S’iel s’effondre, Twitter aura certainement un successeur à terme, mais je suis bien incapable de vous dire lequel, ni même sa forme. Les « concurrents » connus (Facebook, Instagram, Linkedin, Reddit, Discord ou Tik Tok) ne peuvent pas jouer le même rôle. Ils ne répondent pas aux besoins des utilisateurs de cette plateforme parce qu’ils n’offrent pas la même expérience de sérendipité et d’horizontalité que Twitter en termes de contenus et de participants.
De nombreuses voix, particulièrement geek, ont refait la promo de Mastodon, une espèce de clone de Twitter dans le fedivers, qui est en effet très proche par de nombreux aspects (mais pas complètement). J’ai recréé un compte par principe, mais sans conviction : j’avais déjà vécu une expérience de ce côté-là il y a quelques années, que j’avais vite abrégée pour deux raisons principales.
Premièrement, l’absence d’une masse critique d’utilisateurs. J’ai l’impression que cette fois, ce problème est en train de se régler. Certes on reste loin des 300 millions d’utilisateurs actifs de Twitter, mais le nombre et la croissance actuelle (un million d’utilisateurs supplémentaires en 2 semaines) permettent déjà d’avoir des échanges intéressants.
Deuxièmement une grosse crainte concernant la modération. Le principe anarchique et la gestion amateure des instances Mastodon me laissait penser qu’elle ne serait pas au niveau. A l’inverse, je commence à réaliser que la non-tolérance de tout comportement de harcèlement ou x-phobe tue dans l’oeuf l’apparition des réactionnaires de tout poil qui rendent Twitter si hostile. Les serveurs dont les admins ne sont pas assez réactifs finissent par être bloqués (défédérés) par d’autres, ce qui est efficace, mais pourrait poser des problèmes en cas de zizanie. A l’inverse, la culture feutrée actuelle peut être hostile à de nouveaux types de militantisme jugés trop bruyants, et cela cause de mauvaises expériences pour certaines militantes BIPOC. À suivre.
Sans retour ?
J’avoue que je commence à croire un peu à cette alternative, alors que j’imaginais un aller-retour rapide comme précédemment. Mastodon n’aura jamais l’audience de Twitter pour le grand public, mais j’ai l’impression que la transition est possible pour certains cercles à haut niveau d’éducation (science, technologie, journalisme et politique par exemple) qui ne venaient pas suivre les Kardashian ou les joueurs du PSG (mais celles qui cherchaient cela sont aussi en train de quitter le navire).
Outre ce que j’ai mentionné plus haut, j’apprécie l’absence de quote-tweet, un choix technique qui empêche les clashes gratuits auxquels on est habitué sur Twitter. Certes, ça limite aussi les manières de complimenter ou mettre en valeur d’autres toots, mais ça ne m’a pas particulièrement manqué jusqu’ici. (edit juin 2023: si, ça me manque, et le développeur a mis cette fonctionnalité sur la roadmap à la demande de nombreuses personnes, notamment journalistes)
Convaincu ? Oui, et j’en ai même créé un deuxième compte. Reste que la structure même du fedivers implique des limitations. Quelqu’un qui s’y connait mieux que moi a listé quelques problèmes du Fediverse et de Mastodon en particulier.
Watchagonna do
Il y a de multiples autres guides concernant Mastodon, mais voilà quelques conseils de base.
D’abord, choisissez une instance qui correspond à vos intérêts. Ce sera une grande source de découvertes « accidentelles » à travers le flux local, et vous pourrez toujours vous connecter avec vos amies sur d’autres instances. Si vous voulez découvrir des fans de vélo, allez sur une instance spécialisée. Si vous voulez découvrir des conversations en lien avec la Suisse, allez sur une instance suisse (tooting.ch ou swiss.social, par exemple). Si vous êtes dans le milieu scientifique, cette liste est un bon point de départ, et inclut des serveurs axés GLAM. Si vous êtes bibliothécaire, il n’y a pas (encore) d’instance francophone faite pour vous, mais vous trouverez dans d’autres langues :
- https://libraryland.social (edit 10.12.22, ouvert récemment)
- https://scholar.social/ (pour le côté biblio académique)
- https://glammr.us/ (pour les GLAM en général)
- https://openbiblio.social/ (plutôt germanophone mais pas que)
- https://code4lib.social/ (plutôt geek)
- https://digipres.club/ (préservation numérique)
Créez-y un compte, remplissez votre profil, rédigez un message de présentation avec le hashtag #introduction (et d’autres hashtags pertinents pour vous). Si vous avez un compte Twitter, indiquez votre profil Mastodon dans votre bio Twitter (ce qui sera utile juste après).
Regarde-moi
Reste alors à vous abonner à d’autres comptes. La première étape est de consulter le flux local, puis vous abonner aux utilisatrices que vous trouvez intéressantes.
Car pour trouver les comptes des personnes que vous suiviez sur Twitter, vous pouvez utiliser Fedifinder ou d’autres outils simples (edit juin 2023: qui ne sont probablement plus fonctionnels depuis la fin de l’API Twitter) pour les identifier et vous abonner en masse. Eh oui, c’est pour que d’autres vous retrouvent que vous avez indiqué votre compte Mastodon dans votre bio Twitter. Ainsi d’autres migrantes précédemment abonnées pourront vous retrouver facilement.
Une fois ces premières vagues d’abonnements faites, vous pouvez aussi utiliser Followgraph pour identifier des comptes suivis par les personnes que vous suivez (et qui pourraient donc être intéressants pour vous). Vous constaterez vite que si le nombre d’usagers de Mastodon est plus réduit que celui de Twitter, on y trouve quand même de nombreuses personnes intéressantes dans notre domaine.
Article intéressant pour les académiques.
Oh, mon compte Mastodon est https://glammr.us/@gap
Note aux collègues de Switch – si vous créez une instance j’y déménage volontiers.
Le titre du billet est extrait de « La mort des oiseaux« , de François Coppée. Les titres de section sont issus de la (courte) discographie des 2be3. Désolé.
Illustration: CC BY-SA Petras Gagilas