On a évidemment parlé de droits d’auteur au congrès IFLA de Columbus. Cette session en particulier m’a intéressé parce qu’elle s’intéressait surtout aux exceptions accordées aux bibliothèques. Un très bon tour d’horizon présentant des réalités locales très variées.
Copyright Matters! Libraries and National Copyright Reform Initiatives
Copyright matters for libraries. It is copyright, or rather exceptions and limitations to the monopoly power it offers rights-holders, that allow libraries to lend, copy, preserve, and supply works for non-commercial purposes without having to seek approval, or make payment, every time. But librarians in every country work under different sets of exceptions – or may have no statutory exceptions at all! And the rapid advance of digital technologies raise new challenges for libraries in all countries.
Mais au fait, êtes-vous capable de remplir ce questionnaire d’EIFL ? Comment se classe votre pays en termes d’exceptions pour les bibliothèques ?
All rights reversed
Copyright & Exceptions for Libraries: The WIPO Study – Kenneth Crews, Columbia University, United States
Kenneth « Kenny » Crews n’est pas fondamentalement anti-copyright. Pour lui, on peut faire fonctionner le système avec les bibliothèques, en leur ménageant un espace pour permettre l’accomplissement de leurs missions.
Selon le dernier rapport qu’il a rédigé pour l’OMPI, seuls 32 pays sur 188 membres n’ont aucune exception juridique au copyright pouvant s’appliquer aux bibliothèques. Serez-vous surpris par la carte du monde qui suit ?
Personnellement, je l’ai été : j’imaginais l’Afrique plus en retard sur ces questions que l’Amérique latine ou le Moyen-Orient.
Cela dit, les approches des pays « bleus » pour ces exceptions culturelles au copyright sont très variées, touchent des catégories d’institutions plus ou moins larges, pour plus ou moins de libertés et des types de documents différents. Bref, être dans la meilleure classe sur cette carte n’implique pas une différence de traitement flagrante.
Aux Etats-Unis, le principe du fair use vient en complément des exceptions légales en faveur des bibliothèques. Ainsi, le droit protège à la fois les bibliothèques et leurs utilisateurs.
Du côté de l’Union Européenne, les efforts portent aujourd’hui plutôt sur les oeuvres orphelines – une question qui se pose aussi outre-Atlantique. La bibliothèque de Harvard a ainsi publié un rapport sur la stratégie à adopter pour la numérisation de telles oeuvres dans le cadre juridique américain.
Around the world
Une tétralogie d’expériences variées pour suivre :
The US Experience – Nancy Weiss, Senior Advisor to the Chief Technology Officer for Innovation and IP, The White House, United States
Nancy Weiss vient préciser les exceptions qui s’appliquent aux États-Unis. Elle nous rappelle au passage que le droit d’auteur est né en même temps que le dépôt légal avec le Statute of Anne au 18e siècle, et que son objectif annoncé était aussi de soutenir la dissémination des oeuvres.
La doctrine de fair use est la clef qui permet la numérisation de masse pour des usages transformatifs tels que le data mining. Autre point-clef, les bibliothécaires sont protégés par la loi si ils pensent agir légalement.
Le principe de first sale s’applique-t-il aux documents numériques ? Le Département américain du commerce a refusé une telle extension, mais a pris note des demandes a ce sujet. À suivre un jour ?
The Myanmar Experience – Ma Mya Oo, National Library of Myanmar, Myanmar
L’ensemble du système légal du Myanmar est en cours de révision après des décennies de dictature militaire. La loi disposant sur le copyright date de… 1914. D’autres sujets sont évidemment prioritaires, mais un projet de loi existe, et son brouillon a passé plusieurs étapes successives depuis 2012.
Notons au passage que le pays est un des quelques non-contractants de la Convention de Berne, et qu’EIFL assiste le développement des bibliothèques du pays à travers le projet eLibrary Myanmar.
The Polish Experience – Monika Mitera, National Library of Poland, Poland
En Pologne, les exceptions au droit d’auteur progressent. Un seul problème : la loi parle d’institutions culturelles, de recherche et d’éducation, mais pas des bibliothèques (oups) De plus, les exceptions ne concernent pas les livres complets, seulement des extraits.
Les bibliothèques ont tout de même évidemment mentionnées pour la liberté de prêter, mais le paiement d’un droit de prêt est une réalité, et les sommes récoltées sont distribuées aux auteurs du pays. Le statut des oeuvres orphelines est aussi en discussion.
The Australian Experience – Jessica Coates, Copyright Law and Policy Adviser, ALIA, Australia
L’évolution australienne sur le terrain des exceptions au copyright est lente et difficile. Pas tant à cause d’une féroce opposition à des réformes que parce que le sujet n’est pas placé en priorité dans l’agenda parlementaire : l’objectif cette année est de régler des exceptions simples et non-controversées (handicap, préservation).
Une bonne nouvelle du côté des documents non-publiés : la période de couverture sera alignée sur celle des publications, et les droits prendront donc d’office fin 70 ans après le décès de l’auteur. Ceci va permettre à « des millions » de documents conservés dans des bibliothèques du pays d’entrer dans le domaine public le premier janvier 2018 (date espérée), notamment des écrits du capitaine Cook et de Jane Austen.
Mais le gros combat à venir, c’est l’adoption de dispositions similaires au fair use. Celle-ci est proposée dans de multiples rapports depuis les années 1990. Là, l’opposition est frontale, mais les bibliothécaires placent de grands espoirs dans le nouveau gouvernement. Le besoin est réel : l’Australian copyright act est long de 700 pages, a connu 41 amendements depuis 1996, et ses exceptions sont complexes et d’une longueur indigeste.
A lire aussi : position de l’IFLA sur les droits de prêt public.
A lire encore : white paper on remixes, first sale, and statutory damages. (via Nancy Weiss)
Les précédents rapports de Kenneth Crew à l’OMPI sont encore disponibles.
Si vous remplissez le questionnaire présenté dans le chapeau de ce billet, ayez une pensée pour cette bibliothécaire uruguayenne qui était arrivée (sans erreur) à un total de 5 points pour la législation de son pays.
Si vous n’avez pas remarqué les liens plus haut, notez que les présentations de cette session sont disponibles en ligne. Si comme chez moi les liens vous affichent des choses bizarres, sauvez le fichier avec un clic droit avant de l’ouvrir.
L’illustration de couverture est évidemment un des célèbres selfies de macaques réalisés avec l’appareil photo de David Slater. Elle fait donc partie du domaine public.
Vous l’avez certainement remarqué : les titres de section sont empruntés respectivement aux Chemical Brothers et à Daft Punk.