L’IFLA a publié l’année dernière une déclaration sur la neutralité du net, sujet auquel une session de la conférence annuelle était évidemment dédiée. Avec le changement d’administration, c’est un sujet qui revient sur le devant de la scène, et malheureusement pas de manière positive.
The Internet’s New Gatekeepers? Net Neutrality and Libraries – Copyright and Other Legal Matters (CLM) with Committee on Freedom of Access to Information and Freedom of Expression (FAIFE)
Net Neutrality is the term used to describe the principle by which all traffic – films, music, documents – is treated equally over an internet connection. It is threatened by actors who seek to give preference to one type of traffic over another, effectively restricting choice and determining which parts of the internet people will find easiest to use. Inevitably, the most powerful will be better placed to optimise the performance of their content.
For libraries, whose mission is to give access to knowledge equitably, the idea that access should be controlled or made harder for reasons which have nothing to do with fundamental rights is a worrying one. This session will explain more about what net neutrality is, and what it means for librarians and library workers, as summed up in IFLA’s Statement on the topic.
D’où part-on ?
Net Neutrality and Zero Rating: technical, economic and legal aspects – Stephen Wyber, Policy and Research Officer, IFLA, Netherlands
LA question : comment gérer le trafic d’Internet (un bien commun) d’une manière efficace économiquement ET respectueuse des utilisateurs ? L’infrastructure de fils de cuivre est ancestrale, la fibre optique n’est pas disponible partout ni tout de suite, et il faut donc gérer le trafic. Mais comment ?
La hausse permanente de la demande devrait suffire à stimuler l’investissement, mais le constat n’est pas là. Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) tentent de réduire les prix pour être concurrentiels, et aimeraient reporter le coût sur les fournisseurs de contenu. Les gros/traditionnels pourraient être prêts à payer, mais pas les nouveaux acteurs ni les fournisseurs de contenu gratuit. Ce serait donc un frein à l’innovation.
Internet est un service de télécommunications universel d’origine non-commerciale. Il est de plus en plus indispensable et devient considéré comme un droit de l’Homme. Il faut donc veiller à ce que l’action des fournisseurs soit encadrée : leur activité a des implications majeures sur la vie privée et l’information du public.
Réaction acide-base
Net Neutrality and Zero Rating: the societal context – Corynne McSherry, Electronic Frontier Foundation, United States
L’accès à haut débit existe depuis une quinzaine d’années. En 2002, il a été défini juridiquement comme « service d’information », et pas « utility » (service de base, comme l’eau, l’électricité ou le téléphone). Ce « détail » a des implications importantes. Pour lutter contre la discrimination du trafic (par exemple le cas réel de Comcast avec la limitation de BitTorrent en 2007) et constatant l’incapacité du Congrès à agir, la commission fédérale américaine des communications (FCC) a décrété un « Open Internet order » en 2010. Il a été rejeté par les tribunaux, car la FCC n’avait pas de mandat pour réguler les services d’information.
En 2014, la FCC décide de retenter la même manoeuvre, ce qui est voué à l’échec. C’est alors la société civile qui se mobilise pour réorienter ses efforts vers une stratégie efficace : le reclassement en « utility », plus proche de la réalité. Gros effort de communication, campagne « chère FCC » et implication de nombreux acteurs : EFF, Wikipedia, associations diverses, John Oliver (très pédagogue, et très influent au final), et même Barack Obama finissent par se positionner sur le sujet.
La FCC change son fusil d’épaule, et le nouveau projet passe les premiers obstacles juridiques en 2016. Il en reste quelques-uns. Les nouvelles règles : pas de blocage ou de ralentissement de services ou applications, pas de priorisation payante, et obligation de transparence.
Un problème nouveau : le zero-rating (l’IFLA utilise le terme « exonération » en français). Un accord zero-rating exclut certaines données (par exemple le contenu Facebook) du décompte de volume de données limité d’un abonné, qui est donc encouragé à consommer principalement ces informations. Déformation de la concurrence, risque majeur d’enclosure, et illusion d’accès (là où Facebook a lancé de tels programmes, les utilisateurs ne font pas la différence entre FB et Internet).
Dans le même genre, un opérateur peut ne pas décompter les données de son service vidéo à la demande, ce qui tue tout service concurrent. Comme il y a également des indices probants de constitution de cartels (les opérateurs ne vont pas sur les territoires dominés par leurs homologues et se divisent le pays pour réduire la concurrence), il y a encore beaucoup de choses à faire dans le domaine.
Engagez-vous !
Equal Before the Internet: IFLA Statement Offers Firm Support for Net Neutrality – Amélie Vallotton, Globethics.net (FAIFE), Switzerland
Il fallait bien une Suissesse pour présenter la déclaration de l’IFLA sur la neutralité du net. Question au passage : BIS s’est-elle exprimée sur le sujet ?
L’Internet priorisé nuit à la capacité des bibliothèques d’offrir aux utilisateurs un libre accès à l’information sans discrimination. Traquer quel type de données chaque utilisateur consomme, c’est un peu plus de vie privée qui disparaît.
Vouloir prioriser le trafic des puissants, c’est avant tout vouloir limiter celui des plus faibles. C’est un mouvement réactionnaire face à l’horizontalisation d’Internet, où chacun peut être producteur, une discrimination économique contre la liberté d’expression.
La déclaration complète, qualifiée de « radicale » peut être lue en ligne, et même en français. Les recommandations aux bibliothécaires : participons aux discussions politiques sur le sujet, affichons clairement notre soutien à un Internet ouvert, et formons nos utilisateurs. La société civile que nous servons est au cœur de la question.
Rengagez-vous !
Implications of the IFLA Statement on Net Neutrality and Zero-Rating for Education and Practice – Tomas A. Lipinski, CLM Member, School of Information Studies, University of Wisconsin-Milwaukee, United States
Il est important de réaliser que la neutralité du net n’a pas des applications uniquement pour les pays occidentaux. C’est un sujet global particulièrement important pour les pays en développement, qui ont besoin d’être inclus dans la société numérique. C’est une question de justice sociale.
Il faut également que le sujet soit traité dans le cadre des formations professionnelles en information documentaire, pour ses implications politiques, éthiques et sociétales. Nous devons tous être capables de sensibiliser le public sur ce genre de question, et il faut pour cela en comprendre le concept et les débats. Puis agir localement, pas à pas, en se remémorant l’aspect global de l’objectif.
In recent news…
Bon, toute cette conférence date d’une époque lointaine où l’on pouvait espérer des progrès sur le sujet. Malheureusement, avec le résultat que l’on sait aux dernières élections américaines, les priorités ont changé.
Le nouveau président de la FCC n’entend désormais plus renforcer la neutralité du net mais plutôt la démanteler. Il a déjà mis fin aux recherches concernant le zero-rating, et le statut d' »utility » pourrait disparaître malgré sa validation par les tribunaux.
Dans le même temps, certains acteurs cyniques qui l’ont utilisée pour développer leur activité à leurs débuts (c’est notamment de Netflix que je parle), indiquent maintenant que le problème ne les intéresse plus : ils ont atteint une telle masse critique qu’ils estiment être devenus intouchables. Après moi, le déluge.
PS (1 mois plus tard) : Nouvel épisode de Last Week Tonight with John Oliver sur le sujet. Net Neutrality II
A lire ailleurs :
Un tour d’horizon du principe de net neutrality en 2003.
Principes de la FCC concernant l’accès à internet à haut débit. Enfin… anciens principes ?
L’illustration de couverture de ce billet est signée Joseph Gruber, et elle est publiée sous licence CC-By-NC-ND-SA 2.0.