… où l’on parle en réalité de créer une collection de jeux de rôle en bibliothèque et pas du tout des débats qui animent la profession. Désolé.
Non, la bibliothèque dans laquelle je travaille ne propose pas de collection de jeux de rôle papier (pen & paper roleplaying game), mais on a des jeux de plateau, ce qui est déjà assez chouette. J’ai en revanche eu l’occasion de découvrir la collection de la bibliothèque de La-Chaux-de-Fonds, et certains choix opérés m’avaient surpris. En réaction, j’ai donc réfléchi à la meilleure manière, selon moi, d’en proposer dans une bibliothèque.
Evidemment, si vous n’êtes pas certain de savoir de quoi je parle, jetez un œil à l’article « Jeu de rôle sur table » sur Wikipedia avant de lire ce billet. Pas besoin de tout lire, mais ça devrait vous permettre de comprendre les bases du medium. C’est fait ? Alors voyons ce qui, à mes yeux, serait un bon point de départ pour une offre de ce type en bibliothèque.
« C’est l’hermine ou la caravane »
Commençons par parler d’argent. Nous n’avons pas des budgets illimités, et les livres de jeux de rôle coûtent relativement cher. Quels sont les critères pertinents pour développer une collection de jeux de rôle ? J’en ai sélectionné certains, qu’il faudra peser en fonction du public visé.
Populaire
On peut partir du principe que l’aspirant rôliste aura entendu parler de certains jeux, et que c’est eux qu’il cherchera. Tout comme un bibliothécaire doit aussi proposer des livres à succès dont il n’apprécie pas les qualités, le ludothécaire répond à une demande. Cela ne doit toutefois pas se faire à n’importe quel prix.
Accessible
Il faut proposer des jeux compréhensibles par un néo-rôliste lambda après sa première partie de jeu de rôle traditionnel. On risque donc de devoir exclure des expérimentations extrêmement intéressantes – le jeu sans meneur, par exemple. Je parlerai peut-être de celles-ci une autre fois.
Disponible
Ca peut paraître évident, mais si on parle d’acquérir une collection, autant se restreindre à la liste à des jeux actuellement disponibles dans le commerce. Pas de Star Wars d6 ou Warhammer v1 – c’est dommage, ce sont des jeux mythiques, mais il faut vivre avec son temps.
Jouer avec peu
On doit pouvoir jouer à chaque jeu sélectionné en partant de seulement un ou deux livres. Il ne doit pas être nécessaire que la bibliothèque achète une gamme de 15 ouvrages pour que les joueurs soient satisfaits, et les lecteurs ne doivent pas avoir besoin d’emprunter 42 kilogrammes de livres et de matériel divers pour préparer leur première partie.
Et les dons ?
Evidemment, il est possible que votre initiative attire des dons : la bibliothèque Louise Michel à Paris a développé sa collection ainsi. C’est évidemment une option appréciable, mais il faudra alors évaluer vous-même l’intérêt des documents offerts – je vais me concentrer dans ce billet sur une situation « traditionnelle » d’achat.
La sélection
Pour débuter, je vous propose une sélection extrêmement restreinte – le strict minimum, qui ne satisfera peut-être pas tous les besoins, mais qui offre une base solide.
Un périodique : Casus Belli (et quelques mots sur les autres)
Avant de s’intéresser aux jeux eux-mêmes, une petite parenthèse concernant les périodiques dédiés aux jeux de rôle. Casus Belli, un mook (magazine-book) bimestriel spécialisé, est celui que je recommande sans réserve. Actualités, articles de fond, et surtout scénarios pour de multiples jeux permettront à vos lecteurs de mieux découvrir ce loisir et de profiter des jeux que vous proposerez.
Casus n’a plus vraiment de concurrent. Mort trois fois lui-même depuis sa première naissance en 1980, il a vu ses voisins et partenaires disparaître – le plus récent étant Di6dent, un mook complémentaire, plus décalé, et disparu en 2017. On trouve toutefois encore Jeu de rôle magazine, moins bien, et les Chroniques d’Altaride, disponibles gratuitement en ligne.
Un jeu médiéval-fantastique accessible : Chroniques oubliées
Jeu compact, qui reprend de manière simplifiée le cœur des règles dites « OGL 3.5 » de Donjons & Dragons et Pathfinder, il remplit à la fois la tâche de jeu d’introduction, et de solution pour ceux qui souhaitent expérimenter le jeu médiéval-fantastique traditionnel (à la D&D ou Pathfinder).
Disponible en un seul volume de petit format et à prix raisonnable, il est à recommander sans réserve, particulièrement si vous faites impasse sur ses grands frères. Éminemment compatible avec un abonnement à Casus Belli, puisque c’est le « moteur » officiel des scénarios génériques du magazine.
Liste d’achats:
- Chroniques oubliées Fantasy (édition hardcover 40€, ou souple 25€)
- Des scénarios sont disponible sur le web et dans chaque numéro de Casus Belli.
- En option : L’écran du MJ (30€) ou la campagne Anathazerïn (hardcover, 50 €)
Un jeu d’horreur littéraire : L’appel de Cthulhu
L’un des plus anciens jeux de rôle, et l’un des plus respectés : difficile de trouver un rôliste n’y ayant pas joué. Basé sur le mythe de H.P. Lovecraft, il trouve très naturellement sa place dans une bibliothèque et peut au passage attirer les lecteurs du « maître de Providence », ou faire découvrir ses oeuvres à des joueurs.
Son système de règles est très compréhensible, et il a très peu changé au cours de ses 40 ans d’existence, ce qui est rare. De plus, l’une des compétences des personnages du jeu s’intitule « bibliothèque ». Que demander de plus ?
Liste d’achats :
- Manuel du gardien (45 €)
- Manuel de l’investigateur (39 €)
- Scénarios (facultatif) : Aventures effroyables (25 €) ou le Musée de Lhomme ?
- Des centaines d’autres scénarios sont disponibles en ligne, gratuitement ou pas, et Casus Belli en publie régulièrement.
Une note au passage : la sixième édition du jeu et l’édition 30e anniversaire conviennent également parfaitement, et tiennent chacune en un seul volume. Si on vous les propose en don, c’est chaudement recommandé.
Deuxième point : si vous avez un budget supplémentaire pour développer cette gamme, des campagnes mythiques existent (« les Masques de Nyarlathotep » entre autres) qui font un complément intéressant. Mais cher. Mais intéressant.
Et c’est tout.
Vraiment ? Non, pas vraiment. Mais ce sont les seuls titres que je juge absolument indispensables pour entamer une collection de jeux de rôle. Dans l’idéal, vous proposerez évidemment plus de diversité – en fonction des dons ou d’achats supplémentaires.
Je présenterai quelques possibilités dans un prochain billet, mais elles sont extrêmement nombreuses et ma sélection sera forcément subjective. J’aurais particulièrement tendance à recommander des jeux indépendants francophones très typés (Sombre de Johan Scipion ou les bursts d’Yno, entre autres), mais nous verrons cela plus tard.
Comment prêter ?
Ce sont des livres. Vous les prêtez individuellement, comme n’importe quel livre. Vous ne vous attendez pas à ce qu’un lecteur emprunte l’intégralité des Rougon-Macquart quand il veut se mettre à Zola, alors ne demandez pas à quelqu’un de prendre les suppléments d’un jeu qu’il n’a pas commencé de lire, ni le livre de base d’un jeu dont il veut juste lire le scénario. Je ne pensais pas devoir préciser ça avant de visiter la bibliothèque de la Tchaux, ou chaque gamme devait être empruntée d’un seul bloc.
J’ajoute au passage que vous les prêtez avec une durée longue. Ce ne sont ni des BDs, ni des DVDs. Comme des romans, ça ne se lit pas en 5 minutes. C’est même plutôt plus long à lire qu’un roman, parce qu’on peut moins se laisser porter par le flux : ce sont des livres techniques. Donc pas de « prêt court » à la noix, laissez à vos lecteurs le temps de digérer.
Le coeur du projet : les animations
J’ai commencé par parler des collections, parce que c’était l’aspect le plus simple à mettre en place. Mais si vous êtes bibliothécaire au XXIe siècle, vous savez autant que moi que les collections ne sont plus au coeur de notre métier. Parlons donc de… médiation ?
Contrairement à un roman, un jeu de rôle n’est jamais une oeuvre finie. Soyons pédants : le jeu de rôle est à la littérature ce que l’architecture est à la sculpture. Tous deux ajoutent un aspect vivant et utilitaire qui est absent chez leurs cousins : c’est l’usage qui donne son sens au jeu de rôle – la lecture est insuffisante.
Disons-le : le jeu de rôle, avant d’être un fossoyeur de forêts en papier glacé-couché quadrichromie, est surtout une activité sociale. La collection est un moyen de la faire découvrir, pas une fin en soi ! Il convient donc de permettre à de futurs joueurs de se l’approprier. Mais comment ?
Organisez des démonstrations
Organisez de temps en temps une ou plusieurs parties – courtes de préférence – dans vos locaux. Pour jouer, il suffit d’une table, de quelques chaises, et d’un meneur de jeu. Utilisez l’un des jeux présents dans votre collection pour en faire découvrir les règles et l’univers, et décomplexer les meneurs de jeu de demain.
Il est possible qu’aucun de vos collaborateurs ne soit meneur de jeu (MJ) dans l’âme. Dans toute ville digne de ce nom, on trouve au moins une association ou club de jeux de rôle. Dans mon expérience, les membres de ces associations sont toujours prêts à faire découvrir leur passion à de nouveaux joueurs potentiels. Si vous ne disposez pas dans votre équipe d’un meneur de jeu potentiel, ce genre de collaboration sera la solution.
Invitez des auteurs
Ben quoi ? Vous invitez bien une fois de temps en temps des auteurs de BD, de romans, de livres pour enfants – pourquoi pas un auteur de jeux de rôle ? Ils ont des choses à dire, connaissent et interprètent leur oeuvre mieux que la plupart des autres, et on peut espérer qu’ils connaissent une passion communicative pour cet art.
Outre l’organisation d’une partie (du Sombre avec Johan Scipion ou du Pavillon Noir avec Renaud Maroy, quel pied), votre public pourra découvrir le procédé de game design, qui diffère fondamentalement de celui d’écriture d’un roman.
Ok, inviter un auteur, ça peut vite coûter cher. Faire venir Jérôme Larré de Toulouse, Renaud Maroy de Bretagne, Cédric Ferrand du Québec ou Johan Scipion de Paris, ce n’est pas toujours possible. Mais il y a souvent des auteurs locaux – on en trouve même plusieurs en Suisse romande !
On peut aussi revenir à la technique du partenariat : les auteurs se déplacent souvent sur de longues distances pour quelques conventions (Orc’Idée à Lausanne, Eclipse à Rennes, etc.). Discutez avec eux de la possibilité de venir un jour plus tôt pour proposer une animation dans votre bibliothèque – les frais pourraient ainsi être partagés avec les organisateurs de la convention.
Ah, et si je peux me permettre : si un événement rôliste a lieu dans votre ville, ou si un magasin spécialisé existe dans le quartier, faites en sorte que l’existence de votre collection y soit mentionnée, via un stand, un flyer, ou l’animation d’une partie. Sortir des murs de la bibliothèque, c’est encore le meilleur moyen d’y attirer de nouveaux usagers.
A suivre
Je m’arrête là pour l’instant. Comme annoncé plus haut, il y aura un second billet pour parler d’autres jeux à envisager, mais je ne vais pas me lancer dans de la théorie sur la bonne gestion d’une collection de jeux de rôle. C’est simplement que je dois me limiter à des conjectures : ce billet est très théorique, puisque je n’ai pas eu l’opportunité de développer une telle collection.
Si vous voulez creuser le sujet, je vous recommande donc plutôt la lecture des billets publiés par la bibliothèque Louise Michel. Disons-le, sur le sujet, ils ont tué le game. Une expérience réelle, plus pragmatique dans son approche, et qui me fait presque regretter de ne pas habiter Paris. Non, je déconne : Paris, quoi. Mais presque !
Ah, au fait: ce week-end à l’EPFL, il y a Orc’Idée, la plus grosse convention de jeux de rôle de Suisse. Allez-y si vous souhaitez découvrir ce loisir, et passez me dire bonjour au stand de Sombre (le meilleur jeu du mooooooonde) si vous avez un retour à me faire en live sur ce billet.
Illustration (retouchée) : Cal Harding, sous licence CC By 2.0
Bonjour! Je suis tombée sur votre article et vous indique que je suis en train de terminer la rédaction de mon travail de Bachelor à la HEG sur le thème de la valorisation et de la médiation du JDR en bibliothèque publique, d’après un mandat des bibliothèques de La Chaux-de-Fonds. Je serais ravie de vous en faire parvenir une copie si cela vous intéresse d’en prendre connaissance.
Meilleures salutations rôlistiques !